Il y a cinq ans, Karim découvrait la photographie.
Il y a cinq ans, Karim décidait, (ou nous obligeait à décider à sa place) avec ses moyens, de quitter l’institution médico-pédagogique pour vivre ou essayer de vivre sa vie d’adulte telle qu’il pensait qu’une vie d’adulte se vit…
Décision difficile…
Pour lui d’abord… Faire entendre son désir et sa voix d’adulte, quand on n’a pas forcément les mots pour le dire et quand la réponse la plus évidente et la plus courante à la colère et à la violence de la personne handicapée mentale est une solution médicamenteuse.
Pour nous ensuite… Parce que prendre cette décision nous faisait sortir des cadres et des balises…. de la sécurité rassurante de l’institution et de son personnel spécialisé.
Parce qu’il nous a fallu réfléchir et trouver des solutions pour permettre à Karim de vivre, d’appréhender un monde qu’il ‘avait jusqu’ici perçu qu’au travers de prismes déformants (télévision, cinéma….)….
Il nous a fallu penser autrement, lire, découvrir, inventer d’autres chemins, redéfinir d’autres possibles….
Qui a été à l’école de qui ? Qui sait ?
Ces cinq années ont été une aventure familiale, amicale et collective enrichissante et instructive…. Elles nous ont mené au-delà même des perspectives que nous pouvions envisager il y a seulement cinq ans. Chaque année nous a ouvert d’autres portes vers d’autres possibles….
Si chacun de nous regarde cinq ans en arrière et fait le bilan de tout ce qu’il a appris ces cinq dernières années, pas seulement en connaissances, mais en expériences…. Nous pouvons tous constater que nous ne sommes plus les mêmes…. Nous apprenons toute notre vie. Pour la personne handicapée mentale, il en est de même, même si ses moyens de l’exprimer sont souvent déroutants pour nous….
L’appareil photo, lien entre lui et les autres pour Karim
Pour Karim, la photographie a été décisive. Son appareil photo a de multiples fonctions : c’est un vecteur relationnel, un filtre aussi, entre le monde et lui, entre les autres et lui…. Il lui a donné aussi une place bien à lui, autre que celle du fils de ses parents…
Sa photographie a aussi évolué durant ces cinq années. Karim a fait peu de progrès dans le maniement technique de l’appareil photo. Mais son œil est à la recherche peu à peu de plus « d’humanité », délaissant le minéral pour saisir un regard, une expression, une relation à l’autre.
Le handicap est là bien sûr, comme une donnée de départ. Mais Karim devient capable de le dépasser de plus en plus souvent. Il regarde le monde, l’apprivoise avec parfois une pointe d’autodérision….
Pour son entourage, chaque année devient plus légère que la précédente. Je profite de ces quelques mots pour remercier tous ceux qui ont offert un peu ou beaucoup (ou très beaucoup) de leur temps, de leur énergie pour nous aider à continuer cette aventure passionnante et humaine….
En tant que parents, nous avons tous envie que nos enfants réussissent dans la vie, réussissent leur vie….
Un sens à sa vie
Dans son livre, « Où on va papa ? » Jean-Louis Fournier dit, en parlant de ses deux enfants handicapés mentaux :
« Grâce à eux, j’ai eu des avantages sur les parents d’enfants normaux. Je n’ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle. Pas eu à nous inquiéter de ce qu’ils feraient plus tard, on a su rapidement que ce serait : rien. »….
Quand il y a six ans est tombé le verdict d’un placement dans un groupe occupationnel pour adultes, cette phrase a raisonné en nous… Mais Karim, par son obstination a fait mentir les pronostics…. Il ne voulait pas être occupé. Il ne voulait pas ne rien faire, et c’est avec fierté qu’il se présente en disant : « Je suis photographe »….
Il nous offre aujourd’hui ses photos et ses expositions…. Et il nous oblige à nous rassembler autour de lui, parce que seul, il ne peut rien faire….
Mais nous, seuls, pouvons- nous faire tant de choses que cela ?
Alors, merci à tous et merci Karim.
Merci d’exister !
Je crois que c’est ensemble que tout devient possible. Merci beaucoup pour le partage de votre témoignage. Je suis certaine que Karim sait parler aux autres à travers son appareil photo et les clichés qu’il prend.