Novembre 2009
Attendre un enfant, c’est se projeter dans l’avenir, échafauder une vie, des rêves, des possibles probables et puis l’enfant paraît…
Vous avez 25 ou 30 ans, peut-être plus, peut-être moins… Il ressemble à tous les autres enfants, sauf que celui là, vous vous en sentez responsable, vous êtes sa mère ou son père… Vous ne voyez pas tout de suite qu’il n’est pas comme les autres, ce n’est pas toujours évident à la naissance… Cela vient doucement…
Il est plus malade qu’un autre, il est hospitalisé souvent, il ne grossit pas, ne s’assoie pas, ne marche pas, ne parle pas au même âge que les autres…
Les retards s’accumulent. Les médecins ne savent pas... Ou ne veulent pas vous le dire… Peu à peu, insensiblement, le vide se fait autour de vous….
On vous invite moins, vous n’invitez plus… Parce qu’il y a, ces angoisses, ces colères qui dérangent… Et puis que vous faites ce que vous pouvez, comme vous pouvez… Vous n’avez pas appris à être parent, encore moins d’un enfant différent…
Et puis, il ne peut pas aller à l’école, commence alors l’hôpital de jour, l’institut médico pédagogique en externat, puis en internat quand cela devient trop dur, la valse des éducateurs, des psychologues, assistantes sociales, psychiatres, médecins… La quête d’un pourquoi, d’un comment, d’un sens à tout cela…
« Bien sûr qu’il va faire des progrès, mais on ne sait pas jusqu’où, ni quand cela s’arrêtera »…
Puis il devient adolescent, jeune adulte, le temps est passé sans vraiment vous donner de solutions. Cela n’a pas été toujours évident de jongler entre le travail, lui et ses frères et soeurs.
Votre vie n’a pas été conforme à vos rêves, mais est-elle toujours conforme aux rêves…
Il a 20 ans, il ne peut pas travailler, il ne sait ni lire, ni écrire –après dix ans, il écrit toujours les lettres de son prénom à l’envers, dans le désordre et en commençant pas la gauche- compte jusqu’à trois, regarde les même films en boucle pour la 243e fois parce qu’il a peur de l’inconnu, de la nouveauté…
Il est obsédé par les trains, les bus, les TER, TGV… Ses propos semblent parfois incohérents, ses angoisses se manifestent par des colères… Puis il vous dit « je t’aime » en vous serrant trop fort dans ses bras… En lui, cohabitent tous les âges de la vie, il peut avoir trois ans, dix ans ou 23 ans…
Il arpente les rues du quartier, ramassant journaux et prospectus qu’il accumule dans sa chambre. Il soliloque en marchant.
Et puis, un jour, parce qu’il le demande, vous lui donnez un appareil photo (merci le numérique). Il mitraille, prend tout et n’importe quoi. Vous n’avez jamais fait développer les pellicules des appareils jetables qu’il a fini en 10 min, certain qu’il n’y aurait rien dessus.
Par curiosité, vous faites défiler ce qu’il a pris et là, c’est la surprise… Bien sûr, il y a des photos floues, parce qu’il mitraille sans s’arrêter de marcher, très vite, en haut, en bas, à droite et à gauche…
Et parmi toutes ces photos, il y en a certaines qui vous parlent, son regard a accroché des détails que vous n’avez pas vus…
C’est ainsi qu’a commencé l’histoire de Karim avec la photographie…