Les années passent et Karim continue à prendre des photos et nous continuons à monter des expositions avec ses photographies. Parce que pour lui, ces moments de rencontres que sont les vernissages sont importants…. Impressions, 10 ans après…
Il y a 10 ans maintenant que Karim a rencontré la photographie. 10 ans qu’il a été diagnostiqué autiste. Et cela fait 10 ans qu’il a décidé de rester vivre à la maison et de ne plus aller dans un centre pour personnes handicapées… Cela a été un grand bouleversement pour nous tous…
Il a fallut composer, inventer une vie, essayer d’accompagner Karim vers des rêves d’avenir qu’il n’était pas capable d’exprimer… Heureusement qu’il y a eu la photographie. Elle a beaucoup apporté. Tout d’abord une activité à Karim, un peu (beaucoup) rétif à être occupé (comme un enfant, lui qui se voit comme un adulte). Cette activité lui apporte du lien social, de la reconnaissance, une certaine idée de travail, d’effort, de constance.
C’est vrai que cela aurait été plus facile qu’il puisse faire un travail régulier avec une fiche de paye chaque mois… Pas forcément pour la paye, mais surtout pour la régularité de la rétribution de son travail….
Exposer ses photographies
Quand on expose, c’est pour montrer son travail, mais cela n’est pas forcément lié à une rétribution…. rien n’est mesurable dans un rapport franc travail = salaire. C’est une notion très difficile à faire comprendre à une personne comme Karim…. d’autant que pour lui, sa richesse se mesure en DVD dans ses étagères… Ça, au moins, c’est palpable….
Nous, ses proches, nous mesurons plutôt l’apport de la photographie et des expositions aux progrès réalisés. Ces progrès sont possibles grâce à l’accompagnement que nous avons choisi il y a 10 ans lorsque Karim a décidé de quitter l’institution pour vivre à la maison. Il nous a fallut alors trouver du sens à toutes les heures à venir, à toutes les années à venir, à toute la vie à venir pour l’homme en devenir.
10 ans, déjà
- 10 ans, cela fait 3652 jours, 58432 heures (si l’on enlève les 8 heures de sommeil de Karim) qu’il faut remplir de sens, de relations, de vie… Ce n’est pas évident tous les jours. D’autant que forcément, je ne lui suffit pas malgré notre attachement et cela est normal… Quel adolescent, quel homme supporte la présence permanente de sa mère et des remontrances qui forcément vont avec. Je veux parler ici des sempiternels « range ta chambre » ou « débarrasse ton assiette »…. Sans compter toutes les manifestations inhérentes à son handicap,
- les angoisses débordantes,
- les crises autistiques,
- sa déficience mentale qui l’empêche de comprendre certains événements ou comportements.
Et pourtant, même s’ils ne sont pas aussi rapides qu’on le souhaiterait, les progrès sont là, chaque mois, chaque années plus nombreux… Karim s’inscrit dans la vie de sa famille, de sa rue, de sa ville... Il explore le monde, même s’il est toujours très difficile de l’arracher de sa « maison ». Les départs sont toujours difficiles, tributaires de tellement de paramètres. Pourtant on est loin des difficultés d’il y a dix ans quand il défaisait dix fois les valises, qu’il redéchargeait les valises mises dans le coffre de la voiture…. Il parle de partir, même si l’on sait que le départ sera encore difficile, il est au moins envisageable.
L’autisme et la déficience au quotidien
Bien sûr, quand on est déficient mental, qu’on ne sait ni lire, ni écrire, ni compter, on est forcément dépendant des autres. Passer un coup de téléphone pour joindre un ami et prendre de ses nouvelles passe forcément par un de ses proches. Par contre, il arrive très bien à se repérer et à circuler dans sa ville Strasbourg. Il a un tas de petites astuces et son grand sens de l’orientation. Il se trompe rarement de bus ou de tram.
Bien sûr, il y a des jours avec et des jours sans…. Des jours sombres où la violence prend le dessus, liée à son sentiment d’impuissance et son incapacité à gérer seul sa vie…. Comment lui faire comprendre alors que c’est quelque chose qui nous arrive à tous et que nous composons tous entre nos rêves et la vie que nous menons…
C’est un peu le bilan de ces dix ans que je fais dans notre livre « Moi Karim je suis photographe ». Notre livre parce que pour la moitié du livre ce sont ses photos, ni retouchées, ni recadrées puisqu’il ne sait pas le faire lui-même… Pour l’autre moitié, je raconte ces dix ans, nos petites victoires, nos projets, nos échecs aussi, et toutes les questions que je me pose. sur le handicap, sur la façon dont il est perçu et traité en France….
Pourquoi les personnes handicapées sont-elles aussi peu visibles dans l’espace public alors qu’on parle tellement d’accessibilité, d’inclusion ? Combien d’années faudra-t-il pour que la France devienne une société inclusive où chacun a sa place quelque soit ses croyances, son genre ou son handicap ? Pourquoi les personnes handicapées doivent se battre plus, faire plus d’effort pour arriver aux même droits que les personnes valides ?
Où acheter le livre ?
On peut acheter le livre directement sur le site de la maison d’édition : Un bout de chemin Editions… C’est une petite maison d’édition associative dirigée par une femme passionnée Angelita Martins
Préface de Joseph Schovanec
Un livre, c’est aussi un travail d’équipe
le texte, a été relu Marie-Sophie Kormann et Christine Appréderisse Triebel
Les pages et la couverture ont été réalisées par Philippe Delangle, François Rieg, Dans les villes
Merci à Angelita Martins, l’éditrice de Un bout de chemin